Dans les écrits d'Alexandre Jacob publiés aux éditions l'Insomniaque, une lettre envoyée à sa mère en janvier 1915, alors qu'il se trouvait au bagne en Guyane, fait allusion à un certain "Palma" sur qui aucun détail n'est donné...
Ai-je retrouvé la trace de cet homme ?
Dans son livre autobiographique "Souvenirs d'un ours" publié en 1946 , Lucien Descaves ( dont j'ai fait un membre de la bande des philopyges), écrivain libertaire et journaliste à l'Aurore à l'époque de l'affaire Dreyfus raconte qu'en 1898 ou 1899 il fut victime d'un cambriolage. Voici ses mots, près de cinquante ans après les faits :
"Chapitre XIII: « Revenez tout de suite. Maison dévalisée ».
Dans le train « trop omnibus à mon gré » il se fait cette réflexion : « Faut il tout de même que ces cambrioleurs opèrent à l’étourdie ! En effet, ou bien c’est par hasard qu’ils ont jeté leur dévolu sur mon habitation, et alors ils ont risqué les travaux forcés pour bien peu de choses ; ou bien sommairement renseignés, ils savaient quel est mon genre de vie et d’occupation, et il faut, en ce cas,qu’ils soient bien jeunes, bien naïfs, pour s’imaginer trouver dans les tiroirs d’un homme de lettres autre chose que des manuscrits et une correspondance volumineuse. »
Et il ajoute : « Le cambriolage n’est il pas, en somme, préférable à l’incendie qui détruit tout… »
Mes cambrioleurs avaient, dans le cabinet de travail, respecté les cartons, la bibliothèque, ne considérant pas sans doute mes livres et mes gravures comme un superflu dont il était raisonnable de me soulager. Je leur en rendis grâces.
(…)
L’effraction des meubles avait été opérée avec un tel soin, que je dus convenir qu’un serrurier requis pour ouvrir une porte, occasionne généralement dix fois plus de dégâts…
(…)
J’eus des nouvelles de mes visiteurs une dizaine d’années plus tard, en 1908, lorsque M. de Soubeyran de Saint-Prix, juge d’instruction, me pria de me rendre en son cabinet pour m’y fournir des détails sur le cambriolage dont j’avais été victime.
Affable et sans détours, M. le juge me mit en deux mots au courant des révélations d’un certain Palm, mon voleur.
Palm avait trente ans… plus huit ans de travaux forcés que lui valurent divers cambriolages, non compris le mien. Palm ne risquait pas grand chose en m’ajoutant à sa liste : il était déjà relégable. Enfin, c’était quelqu’un. J’avais hâte de le connaître plus intimement.
Il entra, escorté de deux gardes municipaux, et je vis un petit homme à la figure mobile, simiesque et fanée (…) Il portait le costume de détenu.
M de Soubeyran de Saint-Prix fit les présentations, nous nous saluâmes, Palm et moi, et la conversation s’engagea aussitôt, vive et cordiale, en présence d’un défenseur, bien aimable aussi. Le plus à son aise d’entre nous était Palm. A ne le juger que sur sa mine, on lui eût donné un casier judiciaire, sans confession. Mais il tenait à se confesser, et il en avait gros sur le cœur !Il fournit donc sur son expédition du boulevard Brune des renseignements circonstanciés dont j’étais seul à même de vérifier l’exactitude. C’était bien lui mon cambrioleur , ou plutôt, l’un de mes cambrioleurs, car il avait un complice, prétendait il, un vieux camarade avec lequel il travaillait depuis douze ans.
- Dans les mêmes maisons ? demandai-je.
- Dans les mêmes maisons.
Palm avait une mémoire étonnante. Dieu sait combien il avait dévalisé de pavillons isolés depuis dix ans… et il se rappelait par rapport au mien, de détails que j’avais moi même oubliés.
Il racheta même, dans une certaine mesure, sa conduite à mon égard en déclarant qu’il avait appris le lendemain seulement, par les journaux, le nom de sa victime, et qu’il avait regretté que ce fût moi, dont il lisait les articles…
( Palm se moque de la corpulence de Descaves, au sujet des vêtements volés : « Le plus volé de nous deux d’ailleurs, ce fut peut-être moi… »
( Conseils de Palm à Descaves pour éviter les cambriolages…)
Au moment de prendre congé de lui, il me parut charitable de lui souhaiter du courage :
- Vous avez déjà fait trois ans de prison… c’est autant de pris sur vos huit années de travaux forcés… Comme la relégation s’y ajoute, je n’ose pas toutefois vous dire : « Au plaisir de vous revoir. »
- D’autant plus que le plaisir serait surtout pour moi… Je n’ai pas souvent l’occasion de rencontrer des gens qui me comprennent.
Et mon cambrioleur, dont j’ai fidèlement rapporté les propos, manifesta encore son usage du monde en s’effaçant pour me laisser passer.
Cité comme témoin, le jour du procès, à Versailles, je n’assistai pas aux débats. Dois-je me le reprocher ? A dire vrai, je n’avais pas la moindre illusion sur l’accueil du tribunal à la déposition d’une victime érigée en témoin à décharge.
Je m’abstins de toute démonstration, car si je n’ai jamais hésité à remplir un devoir, je me suis toujours refusé à jouer un rôle dans les spectacles."
Voilà, alors le Palm de Descaves et le Palma de Jacob ne sont ils qu'une seule et même personne ?
Dans la fiction, je n'ai pas hésité à répondre "oui".
Dans la réalité, que peut on en penser ? Descaves écrit près de cinquante ans après les faits. A cette époque, Maurice Leblanc a déjà répandu sa légende du gentleman cambrioleur. Il faut savoir que Descaves était, dans les années 1910, le directeur littéraire du "Journal" où les aventures d'Arsène Lupin paraissaient en feuilleton. Descaves est-il sous l'influence de la lupinose quand il dresse le portrait de Palm ?
La réaction de Descaves au cambriolage fait penser à la chanson de Brassens, "Stances à un cambrioleur" qui est bien postérieure...
Qui est le vieux camarade que Palm ne nomme pas ?
Les regrets de Palm après avoir cambriolé un journaliste-écrivain dont il lisait les articles font penser à l'histoire du cambriolage de Jacob chez Pierre Loti... Palm et Jacob partageaient-ils une même éthique ? Pourquoi ?
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