mardi 29 mai 2012

Critique du tome 2 dans Le Courrier de Genève

Sortir du cœur des ténèbres DIMANCHE 27 MAI 2012 Eugène Ébodé ROMAN • «SERIE NOIRE À LA COLONIALE» D'ANTOINE BARRAL Son premier roman, Les Phylopyges, fessu, dodu, osé et enjoué, narrait le grand trouble français de la fin du XIXe siècle entre dreyfusards et anti-dreyfusards. Dans Série noire à la coloniale, suite (et peut-être fin?) des aventures du jeune internationaliste et anti-militariste Alexandre Wollaston, Antoine Barral revisite l’année 1899 et les fiascos de l’armée coloniale française. Le truculent Wollaston, à la fois sujet de sa majesté britannique par la naissance et français par le tempérament, s’est mué en espion pour réunir les pièces emportées sous les tropiques par les conspirateurs à la solde de l’ombrageux nationaliste, écrivain et homme politique Paul Déroulède. Roman historique, picaresque et fresque antimilitariste se rejoignent ici pour présenter, entre la piteuse expédition de Fachoda et les errements de la mission colonisatrice autour du lac Tchad, l’inconduite du duo de capitaines mutins que furent Voulet et Chanoine. Alexandre Wollaston, qui a su fédérer à Paris symbolistes, anarchistes, naturalistes et inébranlables noceurs pour s’opposer à l’apathie de Félix Faure devant la menace xénophobe, réussira-t-il à mettre l’armée en accusation? L’enquêteur arrive en Afrique de l’Ouest alors que la France essaie de panser les plaies diplomatiques et géostratégiques laissées béantes par l’échec de l’expédition Marchand à Fachoda, au Sud-Soudan actuel. Du Sénégal au Mali, du Niger à la Mauritanie puis de la Gambie vers le centre de l’Afrique, l’auteur montre combien l’infernale colonne conquérante, forgée par des capitaines exaltés, fit des ravages et versa tant dans le crime que dans le déshonneur. Série noire à la coloniale évoque néanmoins des figures comme celles de Klobb qui tenta de sauver l’honneur des militaires, et de Bernard Lazare, journaliste-avocat, qui combattit pour que justice fût rendue au capitaine Dreyfus. Si l’écriture de Barral s’est assagie, le roman déroute en mêlant des niveaux de langue qui desservent le texte – et notamment M’Barrick, un personnage attachant. Toutefois, les mordus de littérature se réjouiront des clins d’œil adressés aux auteurs qui ont écrit, voyagé ou médité à la courbe du fleuve sur les ténèbres et les fantômes surgissant de la nuit torride africaine: Conrad, Gide, Naipaul, Leiris… Le texte fait aussi écho à l’actualité sahélienne en rappelant, à travers la question touarègue, la complexité du patchwork ethnique qui tarde à rassembler tous les enfants d’Afrique dans une même et convergente dynamique.